La petite chose #1


Mais l’homme passa sur la question, comme s’il était tout naturel qu’ont le prit quand il venait, et se contenta de demander de son côté :
-- Vous avez sonné ?
Franz Kafka
. Le procès.

Les traditions sont parfois étranges. Certaines sont tellement bizarres qu’il vaut mieux ne pas les contrarier au risque de provoquer un déferlement d’événements incompréhensibles. Quelquefois, la moindre petite chose peut devenir une immense chose…

Mademoiselle M s’éveilla fraîche et dispose. Elle en fut fort étonnée, car nous étions un vendredi, un jour de semaine, un jour de classe. La veille, elle avait travaillé longuement sur un devoir plutôt difficile. Un exercice de grammaire traitant des mots rares souvent abandonnés dans les vieux dictionnaires. Une certaine fatigue la tenait, rien de grave. Quelques cauchemars avaient irrité légèrement son sommeil, sans plus. Elle avait rédigé son travail et s’en remettrait à son professeur pour les fabuleuses notes de décembre.

Curieusement, le réveille-matin n’avait pas sonné comme prévu à 7 heures. Il était sûrement en panne, se dit-elle. Cathy-Chien lovée sur son oreiller se réveillait lentement comme si de rien n’était. C’était probablement une preuve de la normalité de la situation. Mademoiselle observa la lumière du jour qui traversait les rideaux. Elle se leva et voulut marcher jusqu’à la fenêtre, mais elle buta aussitôt sur un petit jouet oublié sur le tapis. Ne comprenant pas d’où sortait cet olibrius, elle poursuivit sa route vers la clarté. Chemin faisant, elle ne remarqua pas que certaines choses avaient changé de place dans la pièce. Une atmosphère étrange flottait dans la chambre. Les yeux encore plein de sommeil, mademoiselle ouvrit les tentures de la fenêtre et découvrit un spectacle hallucinant.

Une tempête de neige faisait les 400 cents coups sur son petit monde. Le vent soufflait sa colère sur la maison, sur tout le quartier. Et voilà que la nature des choses se mit à inquiéter quelque peu M qui tentait de récupérer son souffle et sa pantoufle. Mine de rien, elle se dit que personne n’était venu lui dire de se lever, ce qui était plutôt farfelu dans cette maisonnée. De plus, elle ne humait pas le doux parfum de chocolat chaud que sa mère avait l’habitude de lui préparer, les jours d’examens. Tout cela lui parut soudainement inhabituel. Légèrement contrariée, elle décida de passer une robe de chambre et de se rendre à la cuisine pour son petit déjeuner et sortir la tribu de sa stupeur.

À ce moment précis, une étrange chose se produisit. Cathy-chien se mit à pointer en direction du corridor, puis hurla de façon insolite… M en fut si étonnée que plusieurs frissons l’envahirent. Aussitôt, des bruits de pas feutrés résonnèrent derrière la porte. Quelques petits rires claironnèrent de la salle de bains. N’y tenant plus, mademoiselle M décida de foncer droit vers ce mystère. Faisant fi de toutes les traditions raisonnables de la tribu, elle osa se diriger vers l’inconnu qui troublait sa quiétude.

Dès qu’elle ouvrit la porte de sa chambre, certaines choses se dessinèrent brusquement sur sa quête. Des événements étranges se produisirent sans que M puisse vraiment en comprendre la moindre chose.

Trois lutins habillés de vert de la tête aux pieds savouraient leurs petits déjeuners dans la salle de bains. Mademoiselle M eut un léger sursaut en les apercevant se dandiner joyeusement sur le plancher. Puis se ravisant, elle surmonta ses appréhensions et se dirigea vers ces intrus qui troublaient si outrageusement son réveil et qui sans aucune gêne dégustaient, sous son nez, son petit déjeuner.

-- NON, MAIS JE RÊVE ! VOUS ÊTES DES LUTINS ?
-- Tiens, bonjour, mademoiselle. Vous êtes déjà éveillée. Voilà qui est bien. Magnifique. De la sorte, nous n’aurons pas la tâche ingrate qui consiste à vous tirer hors de votre lit. Nous pourrons procéder…
-- Je… S’il vous plait ! Je vous demande une explication immédiate et précise. Que faites-vous dans ma salle de bains ?
-- Nous ne faisons rien d’extravagant. Nous déjeunons en attendant d’exécuter notre devoir.
-- Je regrette. Ceci n’est absolument pas convenable. Je vous reconnais. Vous êtes les lutins qui sont censés me surveiller durant toute la période des fêtes. C’est une vieille histoire du père Noël. Vous êtes censés demeurer près de mon bas de Noël, au-dessus de mon lit. Alors, messieurs, je vous le demande, que faites-vous dans ce paysage de tempête ?
-- Nous sommes vos lutins particuliers et nous sommes ici pour vous prévenir au sujet de la chose.
-- …
-- Voilà. Vous comprenez la situation maintenant? Nous sommes ici pour vous surveiller et vous prévenir de la chose. Ce n’est pas compliqué.
-- ???

Et voilà que les choses commencèrent vraiment à prendre quelques métamorphoses dramatiques, car Mademoiselle ne comprenait plus rien à la chose. La chose étant semble-il des plus évidentes pour les lutins, mais pas pour elle.

Pendant tout ce temps, M ne remarqua point que la petite chose en question avait disparu…

À suivre…

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1. Illustration : Suzor-Côté. Les ombres qui passent, rivière Nicolet.



Commentaires

  1. Passer sur les questions en bagnole, c'est plus rapide. --Auguste Shard.

    ===

    //Quelquefois, la moindre petite chose peut devenir une immense chose…// Elles grandissent, ces petites maudites...

    //Mademoiselle M s’éveilla fraîche et dispose.// Comme on l'aime!

    //Un exercice de grammaire traitant des mots rares souvent abandonnés dans les vieux dictionnaires.//

    Lesquels?! Lesquels?! Je veux aider!!!

    //Quelques cauchemars avaient irrité légèrement son sommeil, sans plus.//
    Des cauchemars!!! Youppi!

    //Cathy-Chien lovée sur son oreiller se réveillait lentement comme si de rien n’était. C’était probablement une preuve de la normalité de la situation.//

    Chienne mesure d'un monde normal!

    //olibrius// ah! ah!

    //Mine de rien,// la mine de M!

    AH! la chose! L'incroyable mouvement de la chose! Olibrius! Mot rare! Lutins des neiges!!!

    oui, oui! Bravo! Le suspense marche avec des raquettes!

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  2. Bonjour Mireille,

    joliement raconté tout ça,
    belle histoire en perspective et
    encore un merveulleux monde qui nous tient en haleine.
    C'est beau, rafraichissant !
    merci pour la lecture ;)

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  3. >Reading is Dangerous: cet auguste sire, sir Auguste Shard me semble un fin renard... Digne de cette terrible histoire, ce conte qui semble si bizarre.

    La petite chose sera donc affreusement impitoyable et à suivre...

    >eipho: Je suis ravie de te revoir. Tes commentaires sont toujours appréciés. Et tes histoires sont magnifiques.

    Merci!

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