Contes de l'encrier: Marcel et le mot perdu 8


Cette nuit-là, Marcel ne rentra pas chez lui immédiatement.

Le voyageur perdu dans le temps à la recherche d’un mot perdu dans le temps décida de défier le maître du temps. À sa sortie de la cathédrale engloutie dans le temps, la bibliothèque Proust de sa maison d’édition, il mit la deuxième lettre d’or sur son cœur et refusa de monter à l’intérieur de la voiture du temps.

Cette nuit-là, Marcel tricha quelque peu avec le temps qu’il lui restait pour découvrir le mot perdu dans le temps.

Bon joueur, le temps d’hiver blanc passa au temps d’un automne rouge. La neige disparut et les arbres se couvrirent d’une épaisse pelisse de feuilles rouges. Pendant quelques secondes, la lune brune se cacha derrière les nuages, puis disparut dans un ciel d’encre bleue. Le vent souffla quelques gouttelettes de pluie sur les pas de l’imprudent, histoire de vérifier la profondeur de ce sentiment d'impertinence. Marcel se montra imperturbable. Il ordonna sur-le-champ d’intrigantes directives aux destriers du maître du temps.

-- Suivez-moi au pas de course. Je me sens incroyablement insomniaque et inconscient du temps. Suivez-moi où bon me semblera de laisser couler le temps qu’il me reste. Suivez-moi vers l’inconnu qui se balade quelque part au fond de moi.

Cette nuit-là, Marcel oublia ses inconstances physiques, ses nausées, ses étouffements et toutes ses célestes irrégularités. Il se mit à courir dans la Ville lumière comme un cheval fou. Il traversa la Seine, salua les grands monuments, sans s’arrêter un seul instant. Il augmenta la cadence en direction de Montmartre. Marcel voulait gravir des montagnes, s’élever vers un ciel gravé d’étoiles rouges.

Il joua à cache-cache avec les destriers sur la butte. Il montait et descendait les escaliers au pas de course, au grand plaisir du maître du temps. Non. Décidément, Marcel ne voulait pas rentrer chez lui par une nuit sans lune et sans Albertine… Non. Marcel avait le cœur brisé en mille petits morceaux de papier blanc.

Il monta jusqu’à la rue Saint-Vincent, puis ralentit le pas. Lentement, il déambula dans les rues et contempla Paris, les yeux vers l'inconnu. Il s’arrêta devant un joli escalier couvert de feuilles rouges et s’assit dans les marches. Le cœur en émoi, il sortit son fabuleux petit cahier noir et se mit à noircir les pages blanches de lettres rouges. Toute la nuit, il écrivit d’immenses lettres rouges dans le cahier noir, déchirant les pages aussitôt pour les lancer vers la nuit inconnue.

Cette nuit-là, une cathédrale de petits bouts de papier issus d’un fabuleux petit cahier noir dessina une complainte dans un escalier de la butte inconnu. Marcel s’endormit sous les ailes du moulin de l’inconnu. Les destriers du maître du temps veillaient près de lui, ainsi qu’une petite mendigote inconnue perdue quelque part dans le temps.

Cette nuit-là, Marcel oublia Albertine.

C’était un temps d’automne rouge… Marcel « l’impossible » était vraiment perdu dans la recherche d’un mot perdu dans le temps.

À suivre…

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1. Illustration: James Jacques-Joseph Tissot. Octobre. 1877.


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Commentaires

  1. Une mendigote perdue et un carnet noir dans un temps d'hiver pour des lettres rouges sous un ciel d'encre bleue, et Marcel qui reste imperturbable! Et qui oublie Albertine!

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