Colette et l'oiseau moqueur 2


De sa fenêtre, Colette contempla le ciel étoilé. Une multitude de dieux et de déesses brillaient dans la nuit. Cependant, ce qui obséda l’auteur fut d’une autre nature. Le chant d’un oiseau inconnu parvenait désormais de plus en plus jusqu’à sa tanière. Elle scruta les environs avec attention, mais ne parvint point à trouver la cache de l’ange de la nuit. D’évidence, il était tout près de sa demeure. Toby-chien et Kiki-la-Doucette inspectèrent la scène à leur tour, perchés sur la fenêtre de leur maîtresse, sans plus de résultats. Le ténor semblait se percher au faîte d’un arbre pour mieux effectuer son incroyable sérénade. Cependant, il demeurait invisible.

Petit à petit, l’oiseau varia ses roulades et ses intonations. Le ton devint intense, tragique, insupportable. Autour des jardins du Palais royal, les fenêtres s’ouvrirent tranquillement. Les gens allumèrent quelques feux à leurs fenêtres afin de mieux juger cette intervention nocturne et inconvenante. L’oiseau attirait vers lui, les rêveurs de l’heure. Colette, estomaquée, ne distinguait toujours pas le fabuleux ténor ailé. Elle compta une, deux, trois… puis, presque tous les volets, ouverts sur la cour du Palais. Le chanteur inconnu éveilla tout le monde.

Le chant devint phénoménal. Ce fut une suite de cris bizarres et saugrenus complètement démesurée. L’oiseau fit entendre successivement le bruit d’un énorme avion, les pas de destriers dans les rues et une bouilloire qui siffle. Il changea soudainement de registre. Ce fut une suite de rires délicats, des toussotements, des phrases anodines de titis de Paris, suivis de quelques mots en espagnol, en italien, en allemand ou en codes mystérieux non identifiables.

Colette fut renversée. Un oiseau moqueur faisait la guerre au silence, devant sa fenêtre.

Toby-chien et Kiki-la-Doucette envahirent la fenêtre et firent tout un boucan. Il faut préciser que l’oiseau ponctuait ses interventions de miaulements et de grognements susceptibles de faire enrager n'importe quelles quatre pattes. Le bruit devint infernal ! La majorité des résidents du Palais royal se mirent à la recherche le trublion de la nuit. Les gens se pointèrent avec des armes et proclamèrent de sévères invectives sous l’arbre du guignol polyglotte.

Colette entendit le va-et-vient des voisins, du rez-de-chaussée au grenier. Ils semblaient affolés par cet opéra diabolique. Les gens cherchaient un moyen de faire taire cet oiseau moqueur de malheur insupportable. En vain, rien ne semblait atteindre le bonheur du beau parleur.

L’oiseau imita des chants d’oiseaux pendant plus de deux heures. Il se promena d’arbre en arbre, de toit en toit, chantant, parlant et divaguant à tout rompre. Tant et si bien, que tout le quartier fut bientôt en état d’alerte.

Colette entendit le murmure menaçant d’un autre type d’oiseau au loin. Soudainement, une escouade de soldats allemands alertée par tout ce vacarme fit son apparition dans les jardins. Cette fois-ci, c’en était trop. Malgré la gravité de cette situation, Colette se mit à rire de bon cœur. La drôle de guerre de l’oiseau moqueur semait la pagaille et perturbait la quiétude de l’envahisseur.

Nullement impressionné, l’oiseau moqueur poursuivit ses imitations, son catharsis. Les gens en colère poursuivirent l’oiseau. Les Allemands poursuivirent leur intervention en déchargeant leurs armes partout dans les airs, et ailleurs, afin de poursuivre leur devoir envers les poursuivants…

Colette cessa de rire. Le dialogue bête et méchant n’avait plus rien de drôle.

Ce fut une nuit terrible. Les soldats profitèrent de ce brouhaha pour faire des perquisitions dans tout le quartier. Tous les logements du Palais royal furent investis, les gens questionnés et les passeports vérifiés. Des gens furent forcés de quitter leurs logements. Plusieurs personnes furent arrêtées, puis amenées afin d’être interrogées.

Finalement, l’oiseau sembla terrorisé et quitta les lieux du crime. Il disparut dans le ciel noir. La drôle de guerre de l’oiseau moqueur tourna au tragique. On embarqua plusieurs personnes dans des camions. Les engins du malheur, remplis de personnages, plus ou moins identifiés, et parfois jamais entrevus, se mirent en route et disparurent sous le commandement des guerriers noirs.

Au bout d’un certain temps, un calme relatif s’établit. Le cœur encore rempli d’émoi, les gens regagnèrent leurs tanières, leurs lits, leurs cauchemars. Épuisée, bouleversée, Colette ferma les volets de sa fenêtre et tenta de retrouver ses esprits. Elle retourna se coucher. Préoccupée par ces scènes inimaginables, elle eut du mal à trouver le sommeil. Toby-chien et Kiki-la-Doucette veillaient, près d’elle. De guerre lasse, elle sombra dans quelques rêves.

À l’aube, contre toute attente, le chant de l’oiseau moqueur s’éleva timidement. Toby-chien et Kiki-la-Doucette se mirent en quête de l’intrus. Colette se leva et constata avec stupeur la présence du tragédien dans son salon. L’oiseau avait dû entrer par une fenêtre lors de l’invasion des soldats et avait déniché une cachette dans l’appartement. Aussitôt, elle s’empressa de tenter de faire taire le drôle en le capturant. Ce fut peine perdue. Le chien et le chat couraient partout. L’oiseau s’envola dans tous les sens, se réfugiant dans les pièces, les survolant l’une après l’autre, se heurtant tantôt sur les murs, tantôt au plafond.

Soudain, la porte d’armoire du grand buffet s’ouvrit. Colette vit apparaître avec étonnement, une jeune fille, haute comme trois étoiles. Les yeux exorbités, le teint pâle, la petite inconnue supplia :

-- Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur! Il est le porte-bonheur de ma famille…

À suivre…

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1. Illustration: Georges-Jules-Victor Clairin. Portrait de Sarah Bernhardt.


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Commentaires

  1. Les sites de Mireille Noël sont sous la protection de la loi sur les droits d'auteur.

    Toutes violations de ses droits sont passibles de poursuites devant les tribunaux.

    Merci.

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