Jazzoologie: Le saxophone de la rue sans merci 6

 

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Le lendemain matin, Jimmy s’éveilla à l’aube et même un peu plus tôt   qu’à son habitude. Il demeura au lit plus longtemps. Il décida de prendre tout son temps pour savourer ce moment précieux, cet instant de bonheur désiré et imaginé de mille et une façons. Doucement, sans faire de bruit, il se tourna sur le côté gauche, s’appuya sur le coude et laissant sa tête reposer dans sa paume, il regarda avec tendresse la belle dame sans merci endormie près de lui.

Marguerite dormait encore à poings fermés. Telle l’enfant d’une fée, elle se promenait dans les rêves. Rien ne semblait troubler son sommeil. Elle était revenue pour reprendre la route qu’elle avait laissée il y a une dizaine d’années. Une route qui jadis l’ennuyait, lui faisait peur et qui ne lui apportait plus que des soucis. Désormais, ce chemin lui semblait plus hospitalier. Elle pouvait inventer de nouveau des jours de différentes couleurs avec Jimmy. Une nouvelle scène lui souriait. Elle reprendrait sa place parmi les cochers, s’occuperait d’Ella la Rousse et se remettrait à improviser du jazz libre et insensé avec le quartet. Le saxophone de la rue sans merci n’attendait plus que la belle pour se remettre à jouer sur tous les tons…

Seule Marguerite savait faire chanter les oiseaux et le saxophone de la rue sans merci.

Jimmy observait sa belle en silence. Il redessina du bout des doigts les contours délicats du visage, la ligne droite du nez, les pommettes marquées et la petite ride rieuse nichée aux creux des lèvres. Sans dire un mot, Jimmy se fit le sculpteur du jour du visage sans souci de la belle dame sans merci. Il se trouva si bien et si stupide à la fois d’avoir douté de la promesse de Marguerite. Il ne croyait plus à son retour. Il pensa longtemps que sa belle ne pouvait vivre avec lui. Injustement, il crut que sa peau d’ébène lui causait tous ses tourments. Il se tourmenta tellement de cette horrible question :

-- Je suis Noir… Toi si blanche. Voilà pourquoi tu m’as quitté.

Toutes ces questions lui avaient ravi le sommeil et les espoirs de retour. Jimmy se trouva si enfant du Diable d’avoir perdu l’esprit avec de telles interrogations. Aujourd’hui, il comprenait que ses doutes n’avaient aucun sens. Il était hors sujet, dans le champ.

Marguerite voulait vivre d’elle-même. Sa vie n’appartenait à personne. Elle reviendrait lorsque le ciel lui paraîtrait clément. Voilà ce qu’elle avait dit à Jimmy avant de partir. Rien à voir avec le teint noir de Jimmy. Et pourtant, Jimmy avait douté et douté et encore douté…

Jimmy était cocher. Marguerite aussi. Ils aimaient le jazz de la vie pour l’éternité. Le reste n’avait aucune importance. Même les oiseaux jazzaient la même rengaine que les chevaliers réunis.

Les oiseaux de la vie sans merci ont toujours raison de notre merci.

C’est ainsi qu’un jour de juin, Jimmy et la belle dame sans merci reprirent la route de la rue sans merci et improvisèrent le jazz sans merci de la vie avec le saxophone de la rue sans merci.

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1. Illustration : Gustave doré.


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