M ou la vie dans la montagne 2 : les 77 nains

 

Mont Saint-Hilair

Toutefois se peut-il que les premiers qui vinrent à cette fontaine aient laissé quelque trace de leurs pas. J’ai été surpris de découvrir ceinturant l’étang, là même où un bois épais vient d’être abattu sur la rive, un étroit sentier qu’on dirait une planche dans le versant escarpé, tour à tour montant et descendant, se rapprochant et s’éloignant du bord de l’eau, aussi vieux, il est probable, que la race de l’homme ici, tracé par les pieds des chasseurs aborigènes et encore aujourd’hui de temps à autre foulé à leur insu par les occupants actuels du pays. Henry David Thoreau. Walden ou la vie dans les bois. Les étangs.

Selon plusieurs experts en randonnée pédestre, un sac à dos respectable devrait convenir à son propriétaire tel un gant et surtout contenir la liste étrange suivante : Une boussole, un couteau suisse, un sifflet, une trousse de premiers soins, une lampe de poche, un imper, de la crème solaire, un répulsif à insectes, de l’eau, des papiers-mouchoirs, une paire de bas, un carnet de notes, plumes et crayons, chapeaux, nourriture…

Si je perçois assez facilement la pertinence de certains objets, par exemple, la boussole, le répulsif à insectes, l’eau et la nourriture, je m’interroge sur la nécessité d’un couteau suisse à usage multiple. Évidemment, on ne sait jamais ce qui peut nous arriver. Bon. Ouvrir une boîte de conserve au sommet me semble quelque peu saugrenu. À la limite, une bouteille de champagne pour célébrer l’accomplissement. D’accord. Mais, faut-il prévoir tout ce petit bataclan à chacune de nos sorties dans les bois de la montagne ?

Oui. Sûrement. Je rajouterai même un chapeau. Pour plaire à ce fan-club russe dirigé par Reading is dangerous, perdu depuis belle lurette dans les one-steppes bleues de Moscou.

L’inventaire s’avère incomplet. Il me manque plusieurs objets. Je devrai me rendre dans une boutique spécialisée pour compléter mon attirail. Ce matin, je me contenterai du minimum. Je demeure convaincue que Thoreau ne possédait pas de petit couteau suisse à 12000 outils durables, gonflables et imperméables. Je prendrai la route en digne aventurière de la montagne. Je demeurerai prudente et mettrai mon chapeau anti solaire-nucléaire.

Je décidai de me promener du côté nord ouest de la falaise. Les sentiers exhalent une merveilleuse odeur de pins. Cela me permet également de me dégourdir les jambes, de me former les mollets à la douce, en prévision du dur labeur de l’escalade plus musclée qui m’attend dans les prochains jours. Les faucons brillent par leur absence. Ils me font la tête…

Au détour de ce sentier qui longe la partie ouest du mont Saint-Hilaire, je me surprends à entendre des voix. Je ne rêve pas. Ce ne sont pas des buses qui croisent mon espace de randonnée, mais des gamins qui s’amusent. Je perçois entre les branches, une équipée de scout en herbes à l’affût d’émotion forte autour de mon étang préféré. Mon sang ne fait qu’un tour. Le personnel du mont Saint-Hilaire travaille d'arrache-pied au reboisement et à la conservation de la nature. Voilà que d’un coup de folie inspiré de l’imaginaire romantique à la guerre des boutons, cette région fragile se veut menacée par un bataillon d’écolier en cavale. Je suis rouge comme un cardinal…

Les trois garçons munis de filets à papillons et d’épuisette sont à la chasse aux fauves d’Eau. Les intrus détiennent une vingtaine de grenouilles dans un aquarium. Cet attirail ne fait pas partie de l’équipement du parfait randonneur. Colère !

Étang Voilà. Je me calme. Je m’approche, me présente et leur sers un trait digne de David Croquet à la cour de Washington. Au bout de dix minutes de discours naturalistes, économistes, humanistes et écologistes, je les convaincs de remettre les grenouilles captives à l’eau et de foutre le camp ailleurs.

Rassurée, je les laisse déguerpir tranquillement vers leurs demeures. Je poursuis ma route vers les autres étangs de la falaise. On ne sait jamais, les grenouilles ont peut-être perdu des ailes…

À suivre…

Il y a aussi dedans une belle race de grenouilles et de tortues, et quelques moules ; rats musqués et visons laissent leurs traces autour de lui, et il reçoit à l’occasion la visite d’une tortue de vase en voyage. Henry David Thoreau. Walden ou la vie dans les bois. Les étangs.

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